C'était par une nuit sombre et obscure... Une de ces nuits où l'on frissonne au moindre bruit, où la peur nous entaille les tripes... Une de ces nuits où l'on reste cloitré dans sa tanière, où l'on se serre aux autres, fermant les yeux, tentant d'oublier les horreurs qui se sont passées pendant la journée, on essaye de s'endormir et d'effacer les mauvais souvenirs... On sait que le danger rôde dehors, qu'a tout moment on peux tenter de s'enfuir de ce cauchemar, qu'on peut avoir la sensation de courir dans le noir pour essayer d'échapper à ces deux yeux noirs de jais ou rouges sang, à ces griffes écarlates, à cette haleine fétide qui pèse sur notre queue. Une boule se forme dans notre estomac, notre respiration s'accélère, une larme coule sur notre joue, notre esprit en devient hystérique. Quoi de plus beau que de voir une créature tétanisée par la peur.

Un éclair traversa le ciel noir d'encre, et le bruit du tonnerre s'en suivit presque aussitôt, déchirant le silence de la nuit. Une pluie diluvienne s'abattit soudain sur la région, ses larmes langoureuses léchant les branches filandreuses des arbres du territoire des Copper, inondant les marécages et la terre mouvante, tombant dans le bruit épouvantable du tonnerre. On en serait devenu fou, on aurait couru dans tous les sens en essayant d'hurler de peur, une course effrénée mais dont tout le monde sait qu'on en sort pas vivant. On trébuche sur une racine, on s'étale de tout son long par terre, et on a tout juste le temps d'hurler et de sentir des crocs se refermer sur sa gorge. On voit son propre sang chaud se mêler aux gouttes de pluie, on crie, on agonise... On plonge dans le noir, et juste avant on aperçoit ce visage si familier...

Un nouvel éclair zébra le ciel de sa clarté blanche. Une sombre silhouette, représentant tout au moins un énorme chat, fut éclairée. On a juste le temps d'apercevoir ses yeux noirs comme la nuit... On a l'impression qu'il n'en reste que deux orbites béantes, où coule du sang poisseux et noir. On aperçoit sa longue fourrure grise cendrée rayée qui devient noire dans le nuit, ces pattes robustes et trapues qui sont posées avec une puissance surnaturelle sur une branche basse de l'arbre mort, ses griffes écarlates qui lacèrent le bois, laissant des marques profondes. Sa queue touffue immobile, d'une grâce à faire peur, dont on a l'impression qu'elle n'attends que se s'enrouler autour d'un cou.

Il est la mort incarnée. L'héritier de la faucheuse. La puissance de l'agonie. Il est le monstre de cette terre, le cauchemar de tous, le passeur d'outre-tombes. Il est celui qui vous envoie en enfer, qui a construit ce cimetière, non, qui a entreposé ces cadavres, ci et là. Ce n'est pas un simple chat sadique et fou, non, c'est un monstre à l'esprit froid et horriblement machiavélique, c'est une de ces rares créatures qu'on respecte, qu'on s'aplatit devant lui pour demander grâce. C'est une de ces bêtes qui dégage une aura noire autour d'elle, une aura qui modifie le caractère de tous et les incite à la peur.

Le temps se déchaine, lui aussi a peur. La pluie n'est synonyme que de ses larmes d'hystérie, les bourrasques de vent de sa course effrénée, les éclairs de ses frissons d'angoisse. Le monde se plie a lui, l'univers le respecte. Un sourire express se dessine sur son visage, ce sourire si familier, aux dents blanches écarlates et à cette langue rose et pointure qui se trémousse dessus, et qui pourtant ne dure que quelques millièmes de secondes. Il aime ça. Il est perché sur une branche basse de l'arbre mort, dont les branches filandreuses se secouent dans tous les sens à cause du vent septentrional. Aux pieds de l'arbre, git un cadavre. L'odeur de la mort, malgré la pluie, s'est répandue tout autour du territoire. Une flaque poisseuse de sang est répartie sous lui. On espère que cela n'est qu'une proie ; malheureusement la peine est perdue. C'est bien un petit chaton qui vient d'être tué par le monstre. Une petite créature remplie d'innocence farouche, au pelage tigré, les yeux grands ouvert ne reflétant que l'horreur et la peur, la gueule ouverte sur un horrible rictus d'agonie. Les griffes de la patte droites sont sorties, enfoncées dans la terre molle. Et enfin, le signe du passage du guerrier Copper, la cicatrice sanglante dessinée avec passion, qui part au dessus de l’œil gauche et qui continue jusqu'à l'épaule. La même plaie est disponible sur Idéal Imparfait, mais cicatrisée depuis longtemps bien évidemment.

Malgré tout, quelque chose manque à cette funeste scène. Le vétéran sait laquelle. Un témoin, quelqu'un qui pourrait s'affoler en voyant le meurtre. Quelqu'un qu'il pourrait torturer, avec qui s'amuser...

J'avais demandé à mère de me montrer les frontières de notre territoire pendant le partage. Nous étions censé rentrer avant la nuit mais on avait pas vu le temps défiler, nous chassions, nous visitions, nous observions... Et le soleil décliné à l’horizon. Il faisait maintenant très sombre, noir à faire peur à un loup. Nous étions sur le chemin du retour, lorsque je vis un papillon magnifique qui virevoltait.. Il avait les ailes bleues et noires. Je le poursuivit longtemps alors qu'il se dirigeait vers l'Arbre Mort. Et là, mon sang ne fit qu'un tour, je me glissa dans un buisson le plus rapidement que je pu. Ce que je vit était horrible! Le corps d'un petit chaton tigré était étendu part terre et un très grand mâle gris, rayé de longues rayures noires, le regardait, satisfait. Mais malencontreusement, Petite Comète bougea et le tueur ensanglanté aperçu la fourrure de celle-ci...
Que va-t-il faire ? pense notre chaton.

[ Idéal Imparfait est un mâle et il est gris tigré, et non brun tigré. ^-^ ]

Il le savait... Il l'avait senti. Il avait senti cette présence infime qui tentait de se confondre malencontreusement parmi les buissons épineux qui entouraient la plaine dévastée à l'herbe grisonnante où se trouvait l'arbre mort. Idéal Imparfait tourna lentement, très lentement sa tête. Et il plongea ses yeux ambrés à la pupille si rétrécie que l'on aurait dit qu'il n'y en avait pas dans les yeux verts du chaton. Tout aussi lentement, il cligna des paupières, avant de sourire de toutes ses dents blanches étincelantes. Le tonnerre gronda à ce moment même, et le lieu fut subitement plongé dans le noir. Plus une seule trace de lumière n'aurait permis à qui que ce soit d'apercevoir quelque chose : on n'y voyait vraiment goutte. Mais dans ce noir total, l'imposant mâle jubilait : l'odeur du sang et de la mort avait dû surement parvenir au nez de la petite femelle qui avait tant espéré que l'on ne la remarque pas.

Un nouvel éclair zébra le ciel ; éclairant le gigantesque félin gris aux pattes rayées qui, en quelques secondes, s'était déplacé près du chaton. Ce dernier ou cette dernière possédait un ravissant pelage léopard. Ses yeux étaient sans aucun doute obnubilés par le cadavre de la toute récente victime du guerrier des Copper, son échine étaient hérissée par la peur et ses griffes étaient plantées dans le sol. Sans aucun geste de plus, Idéal imparfait lui fit son plus beau sourire express ; avant de reprendre son expression froide et propageant l'horreur, et d'approcher son visage de la petite chose. Son haleine fétide se propulsa sur la face de la bête léopard quand il prononça très distinctement :

<< AS-TU PEUR, NUAGE DE COMÈTES ? >>

Le tonnerre couvrit à moitié son horrible rire démoniaque.

Idéal Imparfait explosa littéralement de rire en entendant la petite voix fanfreluche de la petite apprentie. Non, pas un rire destiné à faire peur, mais un de ses rares rires franches, un rire où il riait vraiment. Il avait vraiment été amusé par ce que lui avait répondu cette minuscule boule de poil. Elle avait de l'audace, cette gamine ! Malheureusement, l'audace n'est pas suffisante pour se sauver des griffes du matou. Quelques hoquetements de rires plus tard, il reprit enfin son sérieux et dévisagea de haut en bas la novice, de son visage froid et glacial. Tout sourire avait disparu de ses lèvres. Il était redevenu celui qu'il avait toujours été.

<< CE N'EST PAS BIEN DE MENTIR... >>

Il lui avait dit ça d'un ton assez bas, comme un reproche qui couterait très cher à Nuage de Comètes. D'ailleurs, c'est ce qui allait se passer. Maintenant qu'elle était tombée sur lui, il fallait bien qu'il s'amuse un peu avec. C'était la moindre des choses. D'ailleurs, il allait commencer son spectacle en beauté.

<< PROUVE MOI DONC QUE TU SAIS TE BATTRE, BOULE DE POILS. ATTAQUE MOI ! >>

Il recula de quelques pas dans quelques nouveaux éclats de rire. La pluie giclait sur son pelage gris, il était trempé jusqu'aux os mais il s'en fichait littéralement, il avait la soif de combat dans les veines, et désormais il irait jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la mort de son adversaire.

La petite chatte typée Bengale paraissait terrifiée, ses grands yeux verts regardaient avec peur l'énorme guerrier gris. Ce dernier se délectait de cette ambiance : il se nourrissait de la peur des autres, les faisait souffrir pour se sentir plus fort. C'est pour cela qu'il rêvait de faire régner le mal autour de lui : ça lui plaisait énormément et ça l'amusait beaucoup. Lorsqu'il vit que la petite s'élança entre ses pattes et planta ses petits crocs dans son membre antérieur droit, il éclata de rire. Était-ce un moustique qui venait de le piquer ? Il était quasiment sur qu'elle allait tomber dans son piège, l'attaquer béatement, au lieu de prendre ses jambes à son cou et de fuir. Idéal Imparfait se souvenait de ses victimes comme de ce qu'il avait mangé il y a deux jours, c'est à dire pas du tout. Il s'amusait avec eux, quand il en avait marre il les mettait salement en point et se barrait pour aller s'occuper avec autre chose de plus amusant. Aujourd'hui allait être une bonne partie du chat et de la souris.

Il attrapa Nuage de Comètes par la peau du cou et la souleva sans difficulté moindre du sol, avant de faire volte-face, toujours le petit corps dans la gueule, et d'une puissance phénoménale, la projeta contre l'arbre mort. Il ne vit pas comment la petite retomba sur le sol dans l'obscurité. Qui sait, s'était-elle peut-être même accrochée au tronc ? Il rit à gorge déployée. Son rire couvrit même les bruits du tonnerre.

La réponse à la question de savoir comment était retombée l'apprentie ne se fit pas attendre. Sous l'épaisse couche de nuages noirs, dans l'obscurité, Idéal Imparfait distingua enfin Nuage de Comètes. Elle se précipitait vers lui, et avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, elle lui avait lacéré le ventre. Sa petite taille l'avantageait, elle pouvait se faufiler n'importe où. L'énorme matou gris cendré tigré grogna sous le coup de la douleur. La haine grimpa comme une échelle dans sa tête, et il tourna son regard fou vers l'apprentie. Cette dernière sembla prendre peur et s'élança à nouveau vers l'arbre mort. Idéal Imparfait la poursuivit. Il était en train de perdre le contrôle de lui même, possédé par la haine, la folie, le désir de voir couler le sang entre ses pattes. La novice grimpa sur le tronc et se planta sur une branche basse. Quand l'énorme matou essayait de grimper sur le tronc, elle lui griffait le visage. Chose qui ne faisait qu'attiser la haine de ce celui-ci. Le sang barbouillait son visage, mais sa gueule était grande ouverte sur ses crocs étincelants et ses yeux fous fixaient la chose qui allait bientôt se trouver entre ses griffes.

# TU VAS MORFLER, BOULE DE POILS !

Dans un hurlement, il se hissa sur la branche. Il se tourna vers Nuage de Comètes et commença à dangereusement avancer vers elle pour la faire reculer vers le bout de la branche.

# TU AS DÉJÀ FAIT DU SAUT A L’ÉLASTIQUE... SANS ÉLASTIQUE ? dit-il dans un sourire fou.

La novice était apeurée. Elle tentait de grimper plus haut, puis de redescendre sur les branches de l'arbre, pour tenter d'échapper à Idéal Imparfait. En vain. L'énorme matou gris la rattrapait à chaque fois. Elle finit par redescendre sur le sol. Il atterrit juste en face d'elle, sourire aux lèvres. C'en était fini...

Soudain, un bruit résonna derrière le dos du guerrier. Celui-ci abandonna son sourire et se retourna en plissant les yeux pour voir qu'est-ce qui venait le déranger dans sa mumuse. D'un coup, une énorme gueule brune et noire se propulsa vers lui. Le guerrier cracha et fit un bond sur le côté pour l'éviter. Alors, sortant de l'ombre dans un grondement féroce, un énorme chien sortit de l'obscurité. Il faisait trois fois la taille d'Idéal Imparfait, et était tout noir, sauf sous le ventre, la gorge, le museau et les pattes, où il était brun. Ses babines retombaient de chaque côté de son museau, ses crocs jaunes étaient découverts. Ses petits yeux noirs fixaient le matou gris. Ce dernier fit volte-face vers Nuage de Comètes et courut vers elle. Une idée avait pris forme dans sa tête. Comme prévu, l'énorme chien le suivit. Lorsqu'il arriva en face de la novice, il lui sourit, avant de brusquement changer sa trajectoire, laissant ainsi le molosse foncer sur l'apprentie.