PROLOGUE
La pluie, et il pleuvait beaucoup, fait sortir les rampants. En toute logique, telle des limaces, donc, les rampants de la société sortait dehors, tandis que les autres restaient les observait de haut dans leurs maisons de marbre, aux reliures d’or, et autres étalement de richesse. Ce genre d’écart n’est pas toujours si flagrant ; en général, l’état se dégrade petit à petit. Hors, là, il y avait presque une frontière, entre les deux univers, si proches et pourtant si distants. « Ce sont des choses si tristes. » La silhouette encapuchonnée finit par sortir du porche d’une de maison de riche sur la « frontière », en s’enfonça dans les ténèbres des bas-fonds. Son médaillon d’argent et d’obsidienne luisait et tintait au rythme de sa marche rapide. Des regards sournois s’y posèrent, mais la grâce sauvage des mouvements de son possesseur, ainsi que son épée et son poignard courbe qui pendouillait bien en évidence sur sa ceinture, les découragèrent. Il finit par arriver au port, où plutôt sur des sortes de docks. L’endroit était désert, de gigantesques caisses de bois usées par la mer s’empilaient, et le gris du ciel donnait une apparence morose au lieu. « Si tristes. Pourtant, je ne ressens pas le besoin de changer ça. » Sous la cape, des sourcils se froncèrent. Le peu de temps qu’il avait passé avec des gens du dehors – non, d’autres gens, pas des gens du dehors, avait dit Maître le Fondateur, lui avait fait comprendre qu’il ne réagissait pas dans la moyenne de normalités aux choses. Tandis que la vie et la mort avaient de l’importance à leurs yeux, aux siens, ce n’était rien d’autre que des états auxquels on passe comme ceci ou comme cela. Par conséquent, on pouvait faire changer les gens d’états, non ? Même s’il n’y a pas de retours…Pourtant, dans son résonnement, il sentit que quelque chose clochait. Que quelque chose lui échappait. Et qu’il ne connaissait pas…
Des bruits de pas le décrochèrent brutalement de ses pensées psychologiques erronés. Il était arrivé au point de rendez-vous. Une autre silhouette, tout aussi encapuchonné, mais plus fine, arrivait vers lui. La capuche s’abaissa, laissant voir le visage serein d’une femme entre la quarantaine et la cinquantaine. Il ne s’y trompa pas ; il savait de quoi était capable cette femme.
- Approche, mon fils.
- Maîtresse Créatrice.
Il s’inclina devant elle, aussi bas qu’il le pouvait, bien qu’il sache qu’elle était en dessous de lui dans la hiérarchie de…De quoi, au juste ? Il ne s’était jamais posé la question… Décidemment, fréquenter les « autres gens » le perturbait. Cependant, Maître avait dit ne pas mourir, donc il ne mourrait pas, et ne donnerait pas de prétexte à cette vielle chouette pour le faire changer d’état.
- Je suppose que Maître le Créateur t’a renseigné sur la marche à suivre.
- Oui, Ma Dame.
- Bien. Tu sais donc que ton dragon est enfermé dans une de ses caisses.
- Oui, Ma Dame.
- Et que nous allons tester ton lien. Non, ne réponds pas tout de suite. Sais-tu qu’il est drogué et gardé ?
- L’Ultime, Ma Dame ?
- Oui, mon fils. Va le trouver. Si tu réussis, il te guidera jusqu'à ton prochain lieu de travail. Tu es prêt, maintenant.
- Je ne décevrais pas notre…, il ne trouva pas de mot approprié,…je ne vous décevrais pas, Vous et Maître le Créateur.
Il s’éloigna en hâte. Dans sa voix, il avait perçu…comment on appelait ça, déjà ? Une émotion. Quelque chose comme de la tristesse. Il ne comprit pas pourquoi. Maître avait dit qu’elle le détestait, donc elle devait le détester. Pourquoi être « triste », alors ? Embrouillé, il sentit une vive douleur dans son front. Pas se souvenir, disait une voix. Pas de question. Obéir. Servir la Cause.
- Oui, se murmura-t-il à lui-même, servir la Cause. C’est tout ce qui compte.
Pourtant, un souvenir revenait. Un groupe de quatre filles, dans une des Enceintes pour enfants, au milieu de tant d’autres. Elles lui souriaient, il souriait en retour. Sa première mission. De repérage, juste. Il avait…il avait sept ans, à cette époque ?
« Les retrouver, tu devras. »
Une nouvelle douleur déchira son front.
- Oui. Je les retrouverais.
Et il s’effondra sur son dragon, après avoir, d’un seul geste, abattu tous les pièges et fais disparaître tout les guerriers censées tenir le siège une heure au moins. Il était invincible.
- La Cause.
CHAPITRE 1
C’était le silence total. La pluie battait contre les vitres, tenaces. C’était le seul bruit, mais c’était un bruit de fond naturel, qu’elle aimait et qui faisait donc partit d’elle. Elle refusait de le considérer comme un vulgaire bruit. C’était un « son ». Voilà tout. Sa résolution la fit sourire, bien que sa plume s’égratignant sur le papier ne promettait rien d’intéressant à son professeur. Un devoir, comme tant d’autres, qui ne changerait pas le monde, ne sauverait personne, ne lui procurerait qu’une vulgaire bonne note dans son rendu, comme tant d’autres. Sa vie, si ennuyante, ne l’ennuyait plus. Voilà quelques années qu’elle s’était faites à cette idée, avait cessé de rêver et tenté de se réinventer dans la vraie vie. Ce qui avait très bien marché. Elle se projetait déjà dans un futur grandiose, portant quelques titres de noblesse reçue par les Gouvernants de l’Empire, revenant de quelques exploits sur les marches d’un palais d’or et d’argent.
Un instant.
N’était-ce pas des rêves ça aussi ? Non. C’était de concrets projets de futur qui méritait toute sa réflexion.
Pensées idiotes. Ce n’était pas elle, « ça ». Enfin, la fille pleine de gloire et obstinée, oui (bonjour les chevilles), mais la fille objective qui calcule tout…enfin, quoique. En haut de son parchemin, elle inscrivit son nom. Enora Arwent. La jeune fille, de douze ans à peine, et pourtant très grande, caressa du bout du doigt son patronyme. Son identité. Mais elle, c’était quoi hein ? Et puis un autre dilemme s’imposa à elle ; rendre son travail ce soir dans la boîte de l’instructeur ou attendre demain ? Finalement, elle choisi la première solution. Une excuse pour sortir par temps de pluie le soir sans se faire fusiller du regard par les gargouilles de pierres de l’église d’en face. Elle reboutonna le haut et le bas de sa chemise, remis son foulard bordeaux correctement, arrangea ses cheveux blonds, remplaça son pantalon de toile par une jupe courte de soie plissé et mis ses bottes hautes en cuir noir. L’uniforme des Enceintes pour Enfants. Il variait selon les régions, mais restait sur un modèle de base : chemise et jupe de soie. Puis, parce qu’elle n’avait tout de même pas envie de s’enrhumer, elle attacha une cape, noir à l’extérieur et rouge à l’intérieur, sur épaules, s’en entoura et passa la capuche par-dessus sa tête. Elle vérifia l’emplacement de sa clé, à savoir une petite poche à l’intérieur de sa chaussette droite, sortit, verrouilla la porte, rangea la clé et se dirigea vers les boîtes aux Rendus, cheminant à travers les couloirs « extérieurs ». Les gargouilles l’ignorèrent, mais cherchait un groupe d’enfant du regard. Enora les connaissait : sa sœur était amie avec eux. Ils aimaient jouer le soir, essayant de ne jamais se faire prendre, pas même pas le regard scrutateur des gargouilles, et heureusement, ce n’était encore jamais arrivé. Sinon, les études de sa sœur…C’en serait fini, elle serait sûrement reléguée dans les élèves brillants mais indisciplinés. Et ça…Bhârhut de Bhârhut quoi. Enfin, elle arriva. Elle tâtonna dans l’obscurité, se maudissant de ne pas avoir pris de lanterne. La boîte qu’elle cherchait passa finalement sous sa main, et elle y glissa son devoir. Elle commença à rebrousser chemin, et s’arrêta, prenant un instant de réflexion. Les gargouilles étaient trop occupés avec la bande de voyous de Naëlle, et cela faisait si longtemps qu’elle n’avait tenté aucune expédition nocturne ! Cette petite voix rebelle aussi, cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas entendu. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Pourquoi pas, après tout ? Enora se détourna de son itinéraire, dévala les marches qui menaient au jardin, et se laissa glisser dans les fourrés, un grand sourire sur ses lèvres.
La gargouille se retourna. C’était l’enfer de surveiller ces gosses, la nuit. Elle devait transmettre leur identité et la « gravité de leur fautes » aux surveillants de cette Enceinte à minis monstres. A chaque fois qu’un d’eux sortait de leurs chambres ou pénétrait dans un bâtiment administratif, elle le sentait, elle le savait. C’était une puissance ancestrale la reliant à la terre qui l’informait, et comme elle refusait de se laisser enchaîner à un dispositif moderne, autant que les parents refusaient de voir leurs gamins traiter comme des bêtes, aucun système plus précis n’avait été mis en place. Seul ces sens étaient en jeu. C’était un défi amusant, les mioches devenant de plus en plus inventif au fil des années. Elle s’en mettait presque à aime son métier. Soudain, elle sentit une présence sortir d’une chambre. A cette heure ci, ce ne pouvait être qu’Enora. La bête de pierre et de métal ne prit pas la peine de se retourner ; le claquement sec et régulier de ses talons, le bruissement de sa cape…elle devait sûrement aller déposer son travail, la pauvre petite avait du travailler toute la soirée. Elle l’aimait bien celle-ci. Plus ingénieuse que les autres, mais plus sage aussi, et plus brillante, elle ne manquait cependant pas de caractère, comme elle avait pu l’observer pendant la journée. Petite, la fillette faisait souvent des expéditions nocturnes, mais elle s’était assagie. Puis il lui sembla capter un autre bruit, et elle oublia la jeune humaine. Une bande infernale s’amusait à leur échapper. Seulement, pas besoin de les voir ; même s’ils faisaient moins de bruit au fil des années, ils restaient des enfants très bruyants. Pour des gargouilles, en tout cas. Elle savait qui ils étaient, mais elle et sa collègue monstrueuse de les avait jamais dénoncés. Faute de les voir, elle les avait entendus et perçut leurs présences. Elle veillait juste à ce qu’il ne fasse pas de bêtise. Un battement d’ailes géantes la tira de son écoute. Le souffle d’un dragon, à des centaines de mètres plus hauts. Le souffle de celui qui le montait, un souffle jeune, vivant…vide. Sans initiative. Elle le connaissait. Il survolait la ville depuis quelques mois déjà, tournant au-dessus de l’Enceinte et repartant, mais trop haut pour se faire repérer ; et jamais les gargouilles n’avaient trouvés intéressant de le signaler aux autorités. Cette fois, il volait trop bas. Il avait du être pris en chasse pas une patrouille, et blessé. Effectivement, une goutte de sang s’écrasa sur son nez.
- Le Ciel saigne, ma Sœur, dit l’autre gargouille.
- Le Dragon saigne, ma Sœur.
La gargouille se détourna dans un grincement sinistre à vous glacer le sang.
Enora se roula dans l’herbe sous un sapin, heureuse de ce saut de liberté. Elle avait la sensation de renaître, de revoir l’espoir devant elle. Elle avait envie de s’y agripper, de s’y abandonner, de le laisser couler en elle. Même si sa conscience la mettait en garde. « Attention, Enora. Tu sais ce qui va se passer. C’est comme l’alcool. Se droguer dans les merveilles. La réalité n’en sera que plus douloureuse. » « Alors je pourrais prendre pleinement conscience de ce monde, non ? Ce sera mon dernier saut dans le rêve. Un mois de joie et d’espoir, un ! C’est magnifique ! »
Et c’est ce qu’elle fit. Elle rit, fit des acrobaties, escalada des cèdres, poursuivit un écureuil, grava au couteau le mot liberté sur un banc…Et puis elle rêva d’aventure, mimant un galop, un vol, un combat, et qui sait ? Puis elle croisa la bande de Naëlle. Celle-ci comptait plus de garçons que de filles. Ils étaient une dizaine, avec six garçons pour quatre filles.
- Enora ?!
- Tiens, bonsoir Naëlle.
La voix choquée de sa sœur l’avait mis sur les nerfs, et elle employait un ton condescendant. La jeune fille du comprendre qu’elle avait fait une bourde et s’efforça de maîtriser son étonnement, ce qui ne changea pas grand-chose à l’humeur d’Enora. C’était fichu pour la soirée.
- Ha…heu, bonsoir…tu fais quoi ?
- Et toi ?
- Rien.
- Moi non plus, alors.
- Ha.
- Ben ouai.
Elle savait que cette rencontre allait provoquer des rumeurs, des murmures, du mouvement en général. Enora, la fille qui avait la possibilité d’intégrer les meilleures écoles du pays, Enora si aimé des profs, Enora qui savait tout, Enora qui était aussi forte en sport, Enora, traîner la nuit dans le parc de l’Enceinte ? Et wée, elle n’était pas une sainte, non plus.
- Bon, salut, à demain.
Elle se détourna de sa sœur. Elle avait passé toute sa vie avec la jeune fille. C’était son seul lien familial réel, ici. Elles y étaient depuis leurs trois ans. Dans une Enceinte pour Enfant, il y a plusieurs sections. Une partie, au sud, pour les trois à six ans. Une a l’ouest, pour les six neuf ans. Et une à l’est, pour les neuf douze ans. Chaque année, ils avaient droit à deux mois avec leurs parents. Des étrangers…Et puis, non, pas eux, il ne fallait pas avoir ce genre de pensées déprimantes. Enora, accéléra le pas dés qu’elle fut invisible à sa sœur et à sa bande. Elle se mit même à courir à perdre haleine, cédant à la panique. Les arbres avec leurs branches avait quelque chose d’inquiétant, ils la menaçaient…la jeune fille retint un hurlement de d’horreur, prise par la gorge par les monstres de son enfance. Elle cherchait son souffle, cavalant furieusement dans le parc, protégé de la pluie par le couvet des feuilles, les larmes de terreur injustifiée ruisselant sur son visage. Un coup de tonnerre la fit encore accélérer. Elle ne s’était jamais crue capable d’aller aussi vite. Elle monta presque à quatre pattes les escaliers, se précipita vers sa chambre, au loin, au bout des couloirs…elle se sentait poursuivi, traquée, chasser. Elle dérapa dans un virage vers l’intérieur. Une impasse. Une impasse. Mais ce n’était pas ça le plus terrifiant. Un gigantesque dragon bleu qui prenait des allures grises dans la nuit, était couché au fond de cette même impasse. Une blessure béante sur son flanc, à côté de l’aile, crachait des flots de sang. Il attendait la fin. Une silhouette d’homme, appuyé contre la créature, assis sur le sol, avait les mains pleines du sang du dragon, comme s’il avait essayé d’arrêter l’hémorragie. Sa cape était trempée de sang, son visage invisible. Seules quelques mèches blondes apparaissaient. Il bougea la tête, et il sembla à Enora qu’il la fixait. Que devait-il se dire ? Elle va donner l’alerte, elle va m’achever…mais comment achever un dragonnier, ces héros qui avaient peuplés son enfance ? Comment les trahir ? Elle inspira un grand coup. Autant profiter du rêve muer en cauchemar.
- Si tu appuies sur le mur, tu tombes dans la cour extérieur, de là tu peux t’enfuir…tu auras la place de t’envoler…va-t-en, sauve toi !
Sa voix tremblait, de tristesse, de rage, d’admiration, de peur. Elle avait tenté de l’affirmer au début, mais elle l’avait laissé prendre sa couleur suppliante, cessant d’essayer de masquer ces émotions. La voix répondit. Elle était faible. Il devait être blessé aussi.
- Merci. Mais que vont-ils faire, s’ils te trouvent ici ? Viens avec moi, ne te laisse pas tuer !
Enora fut tenté de prendre la main qu’il lui tendait. La prudence disait de se méfier, qu’elle ne se connaissait pas. L’audace disait enfuit toi vers tes rêves, sauve ta peau de cette vie morne. La raison disait, ils te verront t’envoler, ils ne sont pas loin, ils tortureront ta sœur pour obtenir des informations qu’elle ignore.
- Je ne peux pas.
- Quoi ? Mais…
- Enfuit-toi ! Ils arrivent ! Ils me verront partir !
- Et si je fais passer ça pour un enlèvement ?
- Je ne peux pas laisser ma sœur.
La lune et la pluie nimbaient le cavalier et son dragon d’une aura puissante et dangereuse. Ils semblaient plus grands, plus braves, plus héroïques. « Comme dans mes rêves d’enfants » Il hocha la tête. Le dragon appuya contre le mur qui s’écroula. Enora ramassa un carreau de vitre brisé et se l’enfonça dans le bras, comme si le dragonnier avait cherché à la blesser. Elle hurla, et quelques secondes plus tard, la créature ailée s’envola, son maître sur le dos. Nageant en pleine extase, la sensation que ces rêves étaient devenus réalités cachait la douleur mordante. Elle craignit que ce ne fût qu’un songe. Et elle sombra, au moment ou des mains puissantes la retenaient de tomber à terre. Le dernier son qu’elle entendit fut des injures contre le dragonnier.
Naëlle n’arrivait pas à se concentrer. Elle ne pensait qu’a sa sœur, inerte dans le lit de l’infirmerie. Sa blessure avait énormément saigné, car la plaie sur son bras étant béante. Il n’avait fallu que quelques secondes pour qu’elle s’évanouisse. Et même si elle était maintenant tirée d’affaire, Naëlle restait interrogative. Elle avait les mêmes cheveux doré que sa sœur, moins longs. Elle était grande pour son âge elle aussi. Et elle était bien bâtie. Aux « os lourds », mais elle n’en restait pas moins fine. Très jolie, mais trop forte pour attirer les garçons. Elle poussa un énième soupire. L’heure passait lentement. Une fois qu’elle fut enfin libéré de son professeur, elle courut jusqu'à l’infirmerie et se précipita au chevet de sa sœur. Celle-ci c’était réveillé.
- Naëlle…tu ne devrais pas être en cours ?
- J’ai une pause de cinq minutes pour te voir. Tu vas bien ? Pourquoi tu étais dehors hier soir ?
- Et toi ?
- Moi je sors jouer dans le parc tout le temps ! Quel plaisir de jouer des tours à ces gargouilles, hein ? Mais toi, tu n’y vas jamais…pourquoi, précisément quand tu sors, tu te fais attaquer par un dragonnier ?!
Naëlle vit la fatigue laisser place à de l’incrédulité puis à de l’amusement sur le visage de sa sœur.
- Tu simules ? Souffla-t-elle
- Oui. Je me suis enfoncé le carreau dans le bras. Mais je me suis vraiment évanoui. Maintenant, je suis d’aplomb, mais j’en ai marre de la routine. Je crois que je vais rester encore quelques semaines à l’infirmerie, avec bouquins, repas, et cours au lit.
- T’es vraiment nulle ! Tu m’as fais tellement peur, si tu savais…aux autres aussi.
- Je t’interdis d’en parler, Naëlle. Tu m’entends ? Murmura soudainement la blessée
- Heu oui, si tu veux. J’y vais, a plus.
Enora ne répondit pas. Elle regarda sa sœur s’en aller, avec un sentiment de malaise. Apparemment, le dragonnier n’appartenait pas à la Cour de l’autre Continent. Il avait réussi a atteindre la mer et là-bas, lui et son dragon avait été secourus par d’autres. Aucuns, cependant, ne portait l’insigne Impérial. Ils agissaient pour leur propre compte, pour une guilde, ou une secte peut-être. C’était les discussions des infirmières qui lui avaient appris tout ça. Souvent, elle faisait semblant de dormir et les écoutaient. Et plus les jours passaient, plus l’angoisse montait chez elle. Elle allait bientôt devoir annoncer son vœu. C’était l’été, même si le temps démentait le calendrier. Effectivement, depuis son « attaque », il n’avait pas arrêté de pleuvoir. Elle aimait bien la pluie, mais si il continuait ainsi, elle annoncerait son vœu dessous, sous le signe de la malchance. Hors, déjà qu’elle doutait de son choix initial…
Ses « parents » semblaient la destiner à chasser les dragons et leurs dragonniers. A faire la guerre, autant tacticienne que combattante. Sauf qu’elle n’aurait jamais pu se résoudre à faire souffrir ses héros d’antan. Elle avait donc mis un point d’honneur à leur faire comprendre qu’elle ferait une carrière dans la politique. Et maintenant…maintenant elle avait envie de partir sur l’autre Continent, l’Areusia. Forcément, qu’elle en avait envie, après tout. Après avoir vu un dragon et un dragonnier, après les avoir sauvé, quand bien même il fallait s’enfoncer un carreau de verre dans le bras. Seulement, elle ne pourrait jamais dire ça à ses parents.
- Coucou Enora.
C’était Charo, qu’elle n’avait pas entendu arriver, perdu dans ses pensées. Sa meilleure amie. Sa voix était stressée, celle d’un animal blessé, aculé, pris au piège.
- Salut. Ça va ? Que se passe-t-il ?
Elle avait réussi à la contaminer avec son stresse. La jeune fille se pencha sur elle comme pour lui faire la bise ou pour la réconforter. Elle chuchota rapidement quelques mots.
- J’ai tout vu.
Enora se raidit. Charo ne pouvait parler que d’une chose.
- Et Evelyn aussi.
- Ho non…gémit-elle
Le bruit de verre brisé ne fit pas la fit pas bouger. Pas plus que la douleur dans son épaule. La pression qu’avait exercé cet autre être sur son bras l’avait jeté contre le mur. Elle avait été bousculée. Ses lunettes encore cassées. Sa cape encore froissée, tachée de nouveau de son sang. Lasse, elle se pencha pour ramasser la mouture de son instrument de vue. Elle esquissa le geste d’essuyer les verres avant de se rappeler que ceux-ci étaient en miette. Elle avait l’habitude. Elève brillante mais manquant trop d’assurance pour être considérée comme prometteuse, elle était considérée comme étrange par ses camarades, pour la plupart. Elle était un peu introvertie, elle avait de bonnes notes, et voilà ce que ça donnait. Tout le monde ou presque la détestait, maintenant. Mais qu’importe l’avis des autres, après tout. Par contre, que sa sœur la rejette de cette manière, ça c’était injuste. Même pas. Juste monstrueux. Sa seule famille ! La rejeter ! Et qu’avait-elle fait pour métier ça, d’abord, hein ? Pas grand-chose, en faite. Non, rien. Des bruits de pas la tirèrent de ses pensées moroses et répétitives. Elle allait encore se faire bousculer. Elle sentit une main l’agripper. « Un lynchage, maintenant ? » la main lui semblait tout de même bien fine. Effectivement, Evelyn ne tarda pas à reconnaître sa sœur Charo, en se retournant.
- Tu te souviens d’avant-hier soir ?
- Oui. Pourquoi ?
- Enora ne voulait pas te mêler à ça.
- Enora est sympa.
- Je sais. Moi, que tu sois en danger ne me dérange pas tellement, mais…donc bref. Elle se demandait si tu consentirais à te faire effacer la mémoire.
- Non. Et toi ?
- Non, plus, mais elle me l’a pas demandé, alors bon.
- Et tu sais pourquoi. Elle a besoin de toi.
- Oui.
- Et si je refuse ?
- Comme elle s’en doutait, elle te demande de te casser d’ici le jour du Vœu.
- Les Vœux de cette année ?
- Oui. C’est à ce moment là qu’elle sera prise en chasse, si tu veux.
- Qu’est ce qu’elle a prévu, Charo ?
La voix de Evelyn était devenue suppliante. Enora avait été sa sœur de substitution. Elle l’avait protégée des railleries de Charo, comprit au mieux, écouté comme elle pouvait. Elle avait tout pour qu’Evelyn se sente mieux, et grâce à elle, elle s’était bien sentie mieux. C’est aussi grâce à elle qu’elle était devenue amie avec Naëlle, bien qu’elles n’aient rien en commun. Que celle à qui elle devait tout se mette en danger – par ce qu’il n’y avait pas de doute là-dessus maintenant – lui faisait énormément mal au cœur, et l’inquiétait.
- Je sais pas, finit par répondre Charo, elle m’a rien dit.
Dans sa voix, Evelyn le sentit, le stresse et l’inquiétude perçait, changeant de son habituelle nonchalance féline. « Ho oui, toi aussi tu as peur, hein. » C’était un réconfort pour la jeune fille de savoir que sa grande sœur aussi éprouvait ce genre de sentiment.
- Que s’est-il vraiment passé cette nuit là, Charo ? Tu le sais toi ?
- Non, ma puce.
Pour la première fois, la toute première fois, Charo prit sa sœur dans ses bras. Trop choqué pour réagir, elle se laissa bercer comme une enfant – ce qu’elle était, en faite. « Ma puce ? Elle m’a appelé ma puce ? » Tout le sang que la jeune fille vu ce soir là, elle n’y était pas préparé. Charo avait des nerfs plus solides. Elle paraissait pourtant si frêle, songea sa sœur. Grande, fine, les cheveux d’un brun chatoyant, un peu ambré. Elle réalisa qu’elle ressemblait énormément à sa sœur. Même cheveux, même silhouette, visage très similaire. « Qu’est ce qui l’a poussé à me rejeter ? » Cette question, la même depuis toujours, revenait sans cesse, la tourmentait. C’était ça, même si elle ne se l’avouerait jamais, qui l’avait fait se renfermer sur elle-même. Elle finit par repousser sa sœur. Celle-ci laissa ses mains s’attardait dans les cheveux la fillette, comme si elle lui avait manqué, comme si le contact lui avait été interdit. Mais non, parce que tout simplement, Charo n’avait jamais laissé ne personne lui dicter sa conduite. A par elle. C’était toujours une étrangère. Non. Elle avait beau l’avoir toujours rejeté, Evelyn la connaissant par cœur. C’est pour ça aussi qu’elle n’en comprenait pas son attitude. Elle semblait sincèrement émue, et elle n’avait jamais vu ce visage sincère à sa sœur, reine de la manipulation. L’idée la traversa que c’était peut-être le faire qu’Enora soit en danger qui la bouleversait tant. Et peut-être avait-elle pensée trop fort, car immédiatement, son aînée se ressaisis.
- Bon. Tu fuiras avec Naëlle, ça vous assurera de compter l’une sur l’autre.
- Je n’ai jamais dit que j’acceptais de m’enfuir.
- Je ne t’ai pas demandé ton avis, Evelyn. D’ailleurs, réfléchis un peu bon sang ! Tu es intelligente, mais fragile, et facilement impressionnable ! Pourquoi est-ce que tu crois que je t’ai tenu loin de moi tout ce temps ? Mais de toute manière tu ne pourrais pas deviner. Tu ne sais pas. Même Enora ne sait pas. Ça vaut mieux, je crois. Bref. Tu vas fuir, pour ta survie. Je ne sais pas ce que va foutre Enora de sa vie, mais moi, je laisse tout tomber le jour des Vœux, et je me casse avec elle.
- Tu aurais pourtant un avenir brillant.
- Tu ne le penses pas. Si, mais ce n’est pas toi. Reprend toi !
Charo lui arracha violemment les lunettes brisées. Evelyn constata avec étonnement que sa vue était plus claire. Et la pression des lunettes qui ne s’exerçait plus sur son nez et sur le crâne derrière ses oreilles en pointes – en pointes, ha bon ? – ne la faisait plus souffrir. Souffrance qu’elle n’avait jamais sentit auparavant. Il lui sembla aussi qu’elle avait les idées plus claires.
- Qu’est ce qui se passe, Charo ?
- Un jour peut-être, Evelyn. Promets-moi juste de fuir. Prépare tes affaires dans un sac la veille. Ne te charge pas, juste un multiplicateur de vivres et d’eau, et surtout des habits pour toutes les saisons. D’accord ? Pour l’argent…eh bien…je connais le code du coffre d’Oncle Maxilius. Vous irez voir son banquier en premier, dans sa campagne perdue, et vous le lui donnerez. Je ne te le transmettrais que le matin même, à toi et Naëlle. A l’oral. Ta mémoire sera ta seule aide, Evelyn. A demain.
Et la silhouette de Charo s’éloigna dans la nuit tombante. Evelyn était sur un « couloir extérieur supérieur ». Un des plus haut. Elle se pencha sur la balustrade, et contempla l’Enceinte. La pluie avait cessé, et l’odeur qui se dégageait était enivrante. Elle soupira, laissant des larmes, des larmes de rien, couler sur ses joues. Juste, des larmes de frustrations, peut-être.
Naëlle ne pu se concentrer lors des cours. Elle le sentait de plus en plus, Enora préparait un mauvais coup. La fillette grinça des dents. Tandis que leur professeur leur expliquait les divisions et les fractions – au combien de calculs mystérieux, que si elle les comprenait, ne s’y intéressait pas plus que ça – se plongea dans l’observation de la fenêtre de l’infirmerie. Pendant le cours de maths, elle s’offrait toujours la place du cancre. Près du chauffage et de la fenêtre, avant dernier rang. D’ici, elle voyait parfaitement bien les rideaux blancs translucides qui laissaient voir les formes en mouvement. Sa sœur était juste derrière ces rideaux. Et ça lui paraissait bien agité, derrière, justement. Elle se rappela alors que Charo n’avait rien à faire de cette heure-ci, et poussa un long soupire. Celle-ci devait être là-bas. Elle se sentait idiote. Mais bien sûr qu’elle aurait du douter de quelques choses. Enora n’aurait pas simulé pour rien, mais sur le coup, elle avait prit ça comme un vulgaire pratique. Elle se demanda si sa sois disante intelligente restait dans le cadre des études et ne s’étendait pas à la vie sociale. Brutalement, elle se sentit rabaissé. Mais peut-être que c’était juste son genre, après tout. Rassérénée par cette demie illusion, elle changea de sujet d’observation, scrutant cette fois avec attention les mouvements dans les branches. La salle dans laquelle elle se trouvait était une des plus hauts placés et elle regardait les arbres pourtant très grands en penchant la tête.
- Naëlle ! Tu es dans la lune ?
Lentement, très lentement, elle tourna la tête vers la vieille femme grande et rigide qui se passionnait pour son métier.
- Non Madame.
- Alors viens me faire cet exercice au tableau.
Naëlle se leva, et tout aussi lentement, elle marcha jusqu’au panneau de bois lisse et sombre. Elle sentait le poids des regards sur elle, les murmures. « Elle n’écoutait pas, elle va jamais y arriver ! » « Combien on pari qu’elle se plante ? » « La pauvre, la prof la met toujours à l’épreuve. » « Tu penses qu’elle veut nous faire passer le message que Naëlle est plus forte que nous en math ? » « En ce qui te concerne, pas que… » « Pff. » Un sourire presque imperceptible remonta les coins des lèvres de la fillette dont il était question. Elle allait gagner, bien sûr. Comme toujours. Les paroles de son enseignante lui revinrent en mémoire, paroles qu’elle n’avait pourtant entendu. Son cerveau avait tout enregistré alors qu’elle était ailleurs. Elle résolut le problème, et retourna s’asseoir. La prof contempla le tableau en fronçant les sourcils mais ne rajouta rien.
- C’est juste.
« Bien sûr. » C’est alors qu’on toqua à la porte. Naëlle fixa l’ouverture. La porte grinça, et Evelyn entra. Ses lunettes étaient brisées. Sa cape reposait avec nonchalance sur ses épaules, et dans son regard brillaient une détermination nouvelle. Ses lunettes aux verres brisées reposaient sur son nez. Elle avança jusqu'à sa place à son côté, ses talons faisant un bruit sec au fur et à mesure de sa progression. Elle inclina la tête en s’excusant à l’intention du prof. Toute la classe était silencieuse.
Evelyn avait changée.
- Je te jure Enora ! Elle avait l’air…l’air…dépossédée !
- Parce qu’elle est possédée en tant normal ?
- Te moques pas de moi.
- Je me moque pas, je cherche à comprendre.
Pourtant, Enora se moquait bel et bien de Naëlle. Elle tenait énormément à Evelyn, et savait une part de vérité – ce que Charo avait bien voulu lui raconter – sur elle et sa sœur. Par conséquent, elle n’avait pas envie d’entendre parler d’éventuels autres problèmes. Pas besoin de se ronger les sangs. Il lui restait encore un mois avant les Vœux, quand elle annoncerait son choix, sa décision de vie et que, traditionnellement, elle devrait partir pour une école spécialisée. Traditionnellement parce qu’Enora ne souhaitait pas ça, et qu’elle n’était pas la première. Charo aurait du faire comme elle, quelque chose de politique – la plupart du temps, les enfants amis choisissaient la même orientation – mais elle préférait encore la suivre. Quant à Naëlle et Evelyn…là ça devenait plus tordu. Elles ne pouvaient pas rester ici, Enora et Charo avait trop peur des tortures potentielles.
- … et je disais en gros que je vais me jeter par la fenêtre pour mettre fin à mes jours…
- Hein ? Quoi ? Tu disais ?
- Tu m’écoutais pas, avoue le.
- Comme si j’allais le nier. Tes propos sont tellement inintéressants, ça tombe sous le sens…
- Toi, tu vas me le payer ! rugit Naëlle
Elle mima un air coléreux et chatouilla son aînée tordue en deux, peinant à respirer, pleurant aux larmes. L’infirmière finit par mettre fin à son calvaire et chassa Naëlle. Pour elle, encore en section SINE, abréviation familière de six-neuf, c’était le couvre-feu. Une nuit qu’elle allait encore passer dehors, certainement. Peut-être même qu’elle et les autres gosses tenteraient d’escalader la façade du bâtiment, quitte à se faire prendre par des gargouilles laxistes. De toute manière, Enora était convaincue qu’elles étaient au courant depuis longtemps et l’avait d’ailleurs dit à Naëlle aujourd’hui. Et elle aurait probablement mieux fait de se taire, mais elle n’avait pas pensé tout de suite que cela lui donnerait des idées dangereuses. Ce fut le bruit de la porte de l’infirmerie, dont elle était la seule occupante, qui lui fit tourner la tête. Arrivait Charo et un grand jeune homme en tenue de voyage – à savoir botte pleines de bout, pantalon de toile large, chemise à lacet et cape. Enora lui trouva un air de déjà-vu.
- Salut Charo ! Bonjour Monsieur.
Son amie prit un ton solennel et une posture caricaturale des grands moments, avant d’annoncer ;
- Mes Dames et Mes Sieurs, duc Filifansteirn.
- Mes Hommages, mon Seigneur Duc Filifansteirn qui ressemble un peu trop à Charo avec le même nom de famille.
- Ah, perspicace.
Le « duc » avait un visage intelligente et des traits rieurs, ainsi que des mains fermes et puissantes, comme si il manipulait l’épée, réalisa-t-elle quand il lui serra la main.
- Je suis effectivement son frère. Je viens juste vous prévenir que vos parents ont un empêchement et qu’ils passeront demain, ne voulant pas vous déranger en plein milieu de la nuit.
- En gros vous faite Hermès, mais vous avait quelque chose d’autre à faire ici, non Monsieur ?
- Oui, mais cela ne vous concerne pas.
Charo rajouta son grain de sel.
- Juste des informations sur ton agresseur et sur le fait que les relations déjà froides entre les deux continents viennent d’atteindre le zéro absolu.
- Ha. Vous avez raison Monsieur, je ne me sens pas du tout concerné, confirma ironiquement l’alitée
Excédé, le frère de Charo la poussa vers le lit en lui ébouriffant les cheveux. Elle rit, et il ne pu retenir un sourire en coin. Il partit rapidement après un bref salut.
- Sympa ta famille dit donc…
- A l’image de la tienne, répliqua-t-elle.
- A l’image de toutes les familles de l’Enceinte.
- Ouai. Des sales hypocrites.
Enora et Charo restèrent ainsi dans le silence pendant quelques minutes. Puis elles bavardèrent de tout et de rien, jusqu'à ce que l’infirmière les sépare. Fatigué par la perte de sang qui ne datait que de deux jours, et de la douleur atroce même si supportable, la jeune fille ne tarda pas à s’endormir, d’un sommeil lourd et sans rêve. Mais elle ne s’étonna pas d’être réveillé quelques heures plus tard par une bande de gamins fébriles. Elle cligna des yeux avant de se retourner dans son lit – au grand dam de son bras encore souffrant – et cala sa tête sous son oreiller. Elle entendait vaguement ce qui se disait, mais préféra ne pas y prêter attention. Elle les entendit partir avec un soulagement certain. Elle eut l’impression d’un léger contact sur sa joue, mais quand elle regarda, elle ne vit personne. Enfin, elle pu se replonger dans ce sommeil qui la fuyait.
Spouitch. Très contente de ce bruit, la jeune blonde frotta son magazine contre l’araignée, le bruit répugnant la remplissant de joie. L’araignée écrabouillée, mutilée, avait laissé de magnifiques traces brunes sur son mur.
- Bien fait.
C’est alors que son père entra dans la pièce.
- Ludivine, on part en croisière cet été.
Maussade, elle ne répondit pas tout de suite.
- Ha. Génial. Je suis emballée par votre merveilleuse idée.
- Ce n‘est pas une idée. On a acheté les billets.
- Un mois en avance…
- Oui…Et si tu veux tu pourras inviter une amie…
- ça, c’est votre meilleure idée depuis la nuit des temps !
Elle se jeta au coup de son géniteur qui la repoussa avant de retourner à ses activités. Il lui lança seulement, après quelques instants.
- Croisière pas loin du Triangle des Bermudes…
- Je vous hais !
CHAPITRE 2
Enora reprit rapidement sa vie à l’Enceinte. Elle reprit ses anciennes habitudes après ces deux semaines de convalescence – qui lui avait apporté le temps et le repos nécessaire pour mûrir sa décision. Elle en avait beaucoup parlé avec Charo, et elles avaient affiné son ébauche de plan. Elle savait bien qu’il était bancale, et que certains « si » pouvaient le ruiner. Mais bon, elles n’avaient pas vraiment le choix. C’était ça. Ou rien. Et grâce à un ancien élève, qui avait été une sorte de grand frère pour Enora, elle avait appris beaucoup de choses sur l’extérieur – par exemple, que ce mystérieux dragonnier sans Ordre apparent faisant la une des journaux. Comme sa sois disante attaque. Le dernier journal en date mentionnait « un rire sadique, et dément, pousser par ce chevaucheur de monstre, à l’image de sa monture » C’était vraiment n’importe quoi. Les premières parutions été à peu prés fidèle à la vérité ; le reste avait été enjolivé. Apparemment, un garde l’avait sauvé au péril de sa vie. « C’est vraiment le foutoir, Dehors… » Dehors, c’était le mot qu’utilisait les enfants de l’Enceinte pour signifier la vraie vie. Il y avait quelques enfants qui rechapaient de cette prison dorée, mais ils vivaient en paria. Seulement, ces enfants de l’Intérieur ne pouvaient regretter un Dehors qu’ils n’avaient connu. C’était certainement le plus grand danger pour ses pauvres gosses.
Une main lui toucha l’épaule. Le contacte sur sa peau nu la fit frissonner. Elle n’aimait pas la froideur de cette main. Le temps était devenu radieux, de sorte que toutes les filles ne portaient plus que des sandalettes, des jupes et des chemises sans manches. Enora ne s’était pas attaché les cheveux contrairement à beaucoup d’autres. Elle plus chaud à la nuque, mais ne s’en souciait pas. « Au moins, se disait-elle, ça me protége des coups de soleils. » Elle était à la recherche d’une coiffure libérant sa nuque mais ne nécessitant pas de se relever les cheveux. La meilleure option restait celle de la queue de cheval allongé, qui correspondait tout à fait à son nom, sur l’épaule. Cette même épaule ou la froideur de la main s’était infiltrée. Oui, c’était une bonne idée. Que ça tienne chaud à son épaule !
Lentement, Enora pivota, affichant un air aimable à l’avance, ne voulant pas enclencher de conflit avec quiconque soit capable d’être glacée par cette journée estivale.
Ce quiconque là avait les cheveux blonds plaqués sur sa tête, comme ses habits sur son corps. Il était trempé. Sa main était sèche pourtant. Elle se rendit compte que celle-ci n’avait pas quitté son épaule et se réchauffait rapidement. Un sourcil mental se haussa. Elle ne voulait pas paraître intriguée, effrayée, ou dégoûtée devant cet inconnu. Il ne portait même pas l’uniforme de l’Enceinte et ne ressemblait en rien à un adulte, malgré la sagesse teintée de démence qui brillait dans ces yeux granit.
- Bonjour.
Il ne répondit pas. Il fixait un point derrière Enora. Curieuse, elle jeta un coup d’œil mais il n’y avait rien. Le jeune garçon semblait terrifiée – un peu fou aussi. Elle se décida à ne rien dire, jusqu'à ce qu’il prenne la parole. Elle se retint de ne pas gémir, car la main était presque brûlante maintenant.
- Ne t’approche pas de lui
La jeune fille sursauta. Elle aurait cru qu’il aurait la voix rauque, mais celle-ci était claire, affirmée, avec une note de supplication aussi.
- De qui parlez-vous ?
Le vouvoiement s’était imposé.
- De lui. Lui !
Elle sentit une majuscule dans le « lui ». Cette fois ci, elle ne cacha pas sa perplexité, mais elle ne pouvait ignorer la brûlure des doigts glacés il y a peine quelques instants sur son épaules.
- Pourriez-vous retirez votre main de mon épaule s’il vous plaît ? Elle me brûle…
Un carreau d’arbalète surgit du ciel et se planta dans la poitrine de l’être qui se tenait devant-elle – parce qu’elle ne savait plus comme l’appeler. Il avait l’apparence d’un homme, mais il y avait quelque chose de différent en lui. Aussitôt, il se changea en une flamme qui lui arracha un cri, la chaleur l’apeurant plus que le feu en lui-même. Puis ce qui était autrefois un être vivant devint cendre, qui aussitôt s’éparpillèrent, mu par un vent invisible qui ne faisait pas voler ses longues mèches blondes. Choquée, son panier repas à la main, Enora ne réagit pas tout de suite. Elle contempla l’herbe piétinée, et réagit au quart de tour. Ce n’était pas normal. Tandis qu’elle effaçait toute trace de la présence d’autrui, elle s’interrogea. Le carreau avait semblé tomber droit du ciel. Hors, tombé en diagonale à grande vitesse…non, il avait été tiré. Mais elle avait beau scruté le ciel, elle avait juste aperçut une ombre mouvante qui avait disparu si rapidement qu’elle crut avoir rêver. Et pourquoi tuer cette pauvre chose qui la mettait en garde ? Pour ne pas la mettre en garde ? Elle ne savait même pas contre quoi on la mettait en garde. Mais le tireur l’ignorait probablement. C’était curieux, comme même. Elle ne se croyait pas être le centre du monde, mais le dragonnier blesser qui apparaît sous son nez et qui lui dit « Viens avec moi au pays des poneys qui font caca arc-en-ciel ! », cette histoire de secte et ce gars là qui semblait un peu pômé – ou un peu taré, au choix. Peut-être était viser, et a travers elle ces parents. Elles savaient qu’ils étaient des sénateurs – et que son père allait peut-être ministre mais sans plus. Ils l’avaient toujours tenu à l’écart de leur politique. Plus elle pensait à eux, moins elle ressentait de chose. Peut-être la jeune blonde aurait-elle du se sentir coupable de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Peut-être que ses parents l’aimaient vraiment, elle, et aussi Naëlle. Peut-être allait-elle briser la pâle imitation de famille qu’ils avaient tentés de préserver ? Mais…non. Ce n’était pas possible. Pour aimer leurs filles, ils auraient du s’aimer eux même. Hors, ils n’avaient jamais eut de gestes d’affection l’un envers l’autre, en tout cas, des dix-huit mois dans sa vie qu’elle avait passé avec eux, elle n’en avait rien vu. Et il lui semblait bien qu’elle avait une nourrice avant d’atterrir ici. « Non, ils ne nous aiment pas. Nous ne sommes que leur descendance. » Ce constat laissa un goût amer dans sa bouche, qu’elle tenta désespérément de chasser en buvant à grande goulée l’eau de la cruche de son panier repas. Elle était dans un coin reculée du parc, et attendait ses amies. Elle avait préparé une nappe et avait choisi sa place, mi ombre mi soleil. Elle banda la brûlure que le jeune garçon, la chose, l’être ? avait fait à son épaule gauche, avec un peu de mal tout de même, parce que ce n’était pas un endroit des plus accessible. Elle la bandait avec les bandages de secours qu lui avait laissé l’infirmière « pour réagir immédiatement si ta blessure se rouvrait mon chou ».
Une brise fraîche se leva, lui offrant un prétexte pour mettre son gilet et ainsi caché sa brûlure. Elle n’avait pas envie d’en parler. Ce n’était pas temps une tristesse du au faite qu’il était probablement mort – elle ne l’avait pas connue et n’était pas du genre à se répandre en larme pour un inconnu qui n’était peut-être même pas humain et qui par-dessus le marché lui avait brûlé l’épaule, bien qu’il essayait apparemment de la mettre en garde. C’est juste que cela lui semblait trop étrange et mystérieux pour être partagé. Elle avait toujours été très bonne comédienne et assez excentrique ; elle n’aurait aucun mal à cacher sa blessure qui la faisait souffrir à chaque mouvement. Elle allait avoir une énorme cloque avant ce soir si elle ne s’appliquait pas d’onguent. Il fallait espérer que le temps redevienne pourri pour qu’elle puisse garder quelques choses qui couvre son épaule. Elle aimait la pluie, a peu près autant qu’elle aimait les journées clémente du printemps et celles d’été, tellement chaude et étouffante qu’elles en étaient assommantes, donc ça ne la dérangeait pas vraiment de vivre dans une ambiance grisaille jusqu'à ce que sa blessure disparaisse et que personne ne puisse la voir.
Enfin, Enora aperçut deux grandes silhouettes fines, une mieux bâtie et quelques autres, plus petites au loin. Elle agite les bras avec vigueur, ignorant l’élancement provenant de sa mésaventure. C’était Charo, Evelyn, Naëlle et quelques amies qui arrivaient d’un pas vif. Elles étaient partit chercher leur propre repas dans le garde manger de l’Enceinte. Sa sœur portait un autre panier en plus des autres, la jeune fille supposa que c’était le dessert. Elle passa un après-midi agréable à s’ébattre dans le parc de leur prison sans barreaux, avec ses amies, sans que jamais un sujet désagréable ne vienne sur le tapis. Tandis qu’elle profitait des rayons du couchant, Enora se dit que c’était ça, une vie comme il faut. Aujourd’hui tous les jours. Derrière ses paupières fermées, elle percevait la lumière. Elle était d’un rouge sanglant avec des taches jaunes. Fermer les yeux ne faisait qu’amplifier les rayons du soleil en moins jolis, pourtant, elle n’écarta pas ses cils. Elle profitait de la chaleur sur son corps.
Un rayon plus rouge que les autres la tira de son illusion. Il lui rappela le jet de sang qui avait sauté de son bras, comme s’il était compressé par sa peau. Elle frissonna. Elle n’était pas destinée à vivre tranquille. De toute manière, elle avait pris ça décision. Elle ne reviendrait pas dessus.
« Il n’y a pas que les idiots qui ne changent pas d’avis, finalement. »
Evelyn, pour la première fois, rit vraiment. Elle ressentit l’herbe sous ses pieds, le vent dans ses cheveux, le soleil sur sa peau. Elle observa le monde avec des yeux neufs – c’est le cas de le dire. Maintenant que Charo lui avait enlevé ses lunettes, elle avait l’impression de renaître. Même quand elle remettait les montures, de nouveaux réparés. Pourtant, elle avait souvent enlevé ses lunettes. Tous les soirs, pour dormir. Mais elle n’en avait jamais reparlé à Charo. Après leur moment ultime comme de vraies sœurs, elle était redevenue distante et Evelyn n’avait rien fait pour l’en empêcher. Elle savait que Charo avait des raisons d’agir comme ça. Mais lesquels ? Elle se creusait tellement la tête qu’elle entendit à peine Enora déclarer qu’elle était fatiguée, et donc rentrer dans sa chambre, en insistant pour qu’elles ramène la nappe que lui avait gentiment laissé l’infirmière. La fillette lui fit un vague signe de la main, avant de se replonger dans ses pensées et dans la lueur écarlate, de plus en plus tenue, que dessinait le soleil sur le ciel. La lune était déjà visible, pâle, certes, mais visible. Elle avait toujours aimé contempler le ciel, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne. Cette étendue céleste, miroitement d’un monde bien plus vaste, l’espoir que des gens ne vivaient pas comme elle, qu’il y avait un univers derrière cette bulle morne qui emprisonnait sa vie.
- Tu regardes quoi ?
Evelyn sursauta brutalement, au point de manquer de cogner le nez de la personne qui s’était penché sur elle. Celle-ci se releva en vitesse.
- D’accord, finit de te prendre par surprise…
Evelyn poussa un soupir de soulagement. C’était un garçon avec qui elle s’entendait bien, en ce moment. Un des meilleurs de son âge, un des plus matures, aussi.
- Mathias…oui ça va pas le faire, oublie toute suite cette méthode tu risques d’avoir le nez tordu.
- Et puis je ne voudrais surtout pas abîmer mon beau visage ou te faire une vilaine bosse…
Elle éclata d’un petit rire nerveux.
- Ou-oui.
Sa « renaissance » avait beau être bien là, elle gardait des séquelles de son existence fragile « d’avant ».
- Donc, que regardais-tu ?
- Le ciel.
- C’est vrai qu’il est beau.
- Oué.
- Tu rentres ? Le vent se lève. Y a une pièce de théâtre des Neuzes dans la salle commune. Ce serait dommage de rater ça.
- Oké.
Il la releva en passant un bras sou le sien, et ils avancèrent en se poussant mutuellement jusqu’à l’entrée de l’Enceinte. Evelyn frissonnait. Pas à cause du vent.
Mathias était gelé.